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Privé de débouchés en Chine, l’aluminium à recycler cherche sa voie

Les déchets d’aluminium qui ne trouvaient pas preneur en Europe partaient, jusqu’en 2018, à plus de 80% vers l’Asie. Le durcissement brutal de la politique chinoise d’importation des déchets et les solutions pour s’y adapter sont au cœur des discussions du Congrès européen du recyclage de l’aluminium, qui se tient à Colmar les 26 et 27 février.

A bien y regarder, c’est une occasion unique de relocaliser le traitement des métaux secondaires. Pour une économie circulaire à une échelle plus continentale, les participants sont unanimes sur les pré-requis : il faut mieux collecter et mieux trier les déchets post-consommation (produits en fin de vie).

Pour les producteurs d’aluminium, l’économie circulaire est une évidence. L’industrie revendique un taux de 75% de l’aluminium produit historiquement toujours dans la boucle. Quelque 8 millions de tonnes d’aluminium sont recyclées chaque année en Europe. C’est 20% de plus qu’en 2012. Mais c’est tout de même trop peu, depuis que la Chine a fermé ses frontières à nos vieux métaux, en exigeant un taux d’impureté maximal de 1%. A long terme, la production de déchets d’aluminium pourrait excéder la demande, « et ce long terme n’est pas si lointain », prévient Olivier Néel, responsable développement durable chez Constellium.

En outre, si les fondeurs d’aluminium ont largement augmenté leurs volumes consommés ces dernières années, la situation des affineurs est plus complexe, relève Cyrille Mounier, directeur général d’Aluminium France. Ce réseau de PME capables de trier finement et de produire une large gamme d’alliages secondaires pratiquement sans ajout de matière vierge pour en corriger la teneur a réduit, récemment, à la fois sa production et son usage de déchets d’aluminium.

Pour Murat Bayram, directeur des non-ferreux Europe chez le premier recycleur européen de métaux EMR (European Metal Recycling), les menaces pesant sur les trieurs-recycleurs sont nombreuses. Il cite entre autres les nouveaux protectionnismes incarnés par Donald Trump, le Brexit, l’arrivée massive de déchets métalliques en Europe depuis la fermeture des frontières chinoises… Mais aussi l’évolution de certains produits vers de moins en moins d’écoconception : « Les véhicules électriques sont de plus en plus complexes. Bientôt on ne pourra plus les broyer, il faudra les déconstruire pour en valoriser les matières. » Pour faire face à toutes ces menaces pesant sur les recycleurs comme sur les producteurs, utilisateurs d’aluminium secondaire, les réponses sont de deux ordres : de la technologie et des investissements.

Les investissements pour valoriser les déchets d’aluminium sont en cours. Ils ont démarré avec le traitement des chutes de production, facilités par la bonne connaissance des matières traitées et par la volonté des utilisateurs de garder la main sur un maximum de volumes de matières, pour se prémunir de la volatilité des cours.

Pour traiter les produits en fin de vie, c’est plus lent. Les gisements sont soit trop complexes pour être rentables (à l’instar des produits électroniques), soit trop mal collectés (c’est le cas des véhicules hors d’usage). Même les canettes, mono-matériau, qui affichent un enviable taux de recyclage de 74%, peinent à progresser faute de savoir capter la consommation hors-foyer. Qui jette son soda, en ville, dans une poubelle jaune ?

La baisse des cours de l’aluminium secondaire depuis la multiplication des surplus privés d’export vers la Chine pourrait néanmoins débloquer certains investissements chez les utilisateurs, plus enclins à adapter leurs process à une matière moins chère à l’achat qu’à une matière vertueuse certes, mais aussi chère. Quant aux recycleurs, ceux qui ont regardé se monter à vitesse grand V et à bas coût des unités de sur-tri en Malaisie ou en Inde pour servir la Chine sont presque rassurés de voir le marché chinois se fermer totalement. Certains marchés pourraient se relocaliser si ce modèle devenait à son tour obsolète.

L’autre frein est technologique. La majorité des centres de tri séparent seulement les métaux ferreux (par magnétisme) puis les non-ferreux, grâce à un courant de Foucault. Les plus spécialisés séparent les grandes familles d’alliages par rayons-X, ou par spectroscopie manuelle. Mais peu sont à même de garantir un flux suffisant d’un alliage précis.

C’est là qu’intervient le Libs (laser induced beakdown spectroscopy, ou spectroscopie sur plasma induit par laser). Intégrés dans des machines de tri en ligne, ces onéreux systèmes sont « capables de différencier les alliages de séries 5000 (aluminium magnésium) et 6000 (aluminium magnésium silicium) en mesurant le taux de silicium et de magnésium », affirme Karl Hoffmann, directeur de ventes des solutions technologies de séparation des métaux chez Steinert.

En voici le principe. Les fractions de déchets d’aluminium sont disposées en ligne (et non en vrac) sur un convoyeur qui avance de plusieurs mètres chaque seconde. Un premier laser repère la pièce, un second la nettoie de ses éventuels traitements de surface, un troisième effectue une mesure spectroscopique après vaporisation d’une infime quantité de métal en plasma.

En fonction des longueurs d’ondes mesurées dans ce plasma, on peut connaître la concentration dans chaque métal de l’alliage. La pièce est alors soufflée vers le bac de sa famille d’alliages. « L’opérateur peut définir ses propres seuils de chaque élément d’alliage pour la séparation », précise Christian Bohling, directeur général de Secopta Analytics. La société allemande de mesure a démarré avec des capteurs pour la recherche de mines terrestres pour la défense, avant d’adresser les secteurs du recyclage et de la métallurgie avec des solutions de tri rapide des métaux et de contrôle qualité (composition, densité).

L’évolution du recyclage de l’aluminium est inéluctable aussi en raison de la transition en cours dans le secteur automobile. Les véhicules électriques consomment beaucoup moins de pièces fondues en aluminium secondaire: 25%, contre 56% dans les moteurs thermiques, selon le consultant CRU. L’aluminium gagne en revanche du terrain dans la caisse en blanc, dont l’allègement compense, un peu, le poids des batteries. Si l’on ne trouve pas de débouchés autres que la boucle, le contenu en aluminium des véhicules actuellement en circulation pourrait bien finir… en décharge. Un comble, pour un matériau qui a réussi à ne disperser qu’un quart de ses effectifs historiques.

Source : L’Usine Nouvelle, 22/02/2019.