Nouvelles solutions métallurgiques, traitements thermiques et de surface, conception et design des outils
Les 10 et 11 octobre 2019, se tenaient à l’Ecole des Mines d’Albi Carmaux (IMT) les 4èmes journées Moules et Outils. Co-organisée par A3TS (Association de Traitement Thermique et de Traitement de Surface), le CEM (Cercle d’Etude des Métaux) et l’ICA (Institut Clément Ader), cette manifestation se déroule tous les 4 ans (depuis 2007 sous cette forme) et donne l’occasion aux participants d’échanger sur les évolutions techniques dans le domaine des métaux. Cette année, près de 70 participants (dont 70 % d’industriels) ont pu écouter 27 présentations techniques réparties en cinq thématiques (évolution des nuances, simulation numérique et intelligence artificielle, conception et design des outillages, dégradation des outillages et traitement thermique et traitement de surface). Deux tables rondes étaient organisées, respectivement sur la fabrication additive et l’intelligence artificielle.
Evolutions des nuances
Pierre Blanchard (Erasteel) a présenté les évolutions, depuis 50 ans, de la qualité et des propriétés des aciers rapides élaborés par la métallurgie des poudres. Les premières atomisations ont été développées en 1969 et ont permis d’obtenir des nuances (ASP 23, ASP 30, ASP 60, …) aux microstructures beaucoup plus homogènes et isotropes qu’auparavant. Après atomisation, la poudre est compactée (CIC). Avec le procédé Dvalin (2005), les contaminations exogènes ont diminué d’un facteur 100 et les inclusions ont été réduites (taille, nombre). Depuis 2012, le niobium a remplacé le vanadium (carbures plus fins) sur la nuance ASP2055 et l’optimisation du traitement thermique sur la nuance ASP2012 a permis d’obtenir des propriétés remarquables en termes de résilience (> 60 J) et de dureté (64 HRC).
Roxane Trehorel (Industeel Le Creusot) a communiqué les résultats d’études sur l’acier Superplast Premium, qui présente une alternative aux aciers refondus sous vide ESR (Electron Slag Remelting) pour des applications de tôle fine. Cet exposé montrait qu’il est possible d’utiliser des propriétés mécaniques comparables à l’ESR (dureté, absence de macro-ségrégation, faible teneur en oxygène, silicium, aluminium et soufre, état de surface) sans refusion sous vide. L’acier Superplast Premium utilise la solidification dirigée.
Anna Fraczkiewicz (EMSE – Ecole des Mines de St Etienne) a exposé ses travaux sur les HEA (High Entropy Alloys) et les CCA (Compositionnaly Complex Alloys). Le concept de HEA a maintenant 15 ans. Par rapport aux alliages traditionnels qui ont une base d’un métal majoritaire (base fer, base aluminium, base titane), les HEA sont des alliages dans lesquels les éléments d’alliages sont nombreux (supérieurs ou égal à 5 en théorie) et de quantité équivalente. Le premier HEA historiquement développé, dit HEA de Cantor, et de composition CoCrFeMnNi contient ainsi 20 % de chaque phase. Les HEA, dont il existe au moins cinq grandes familles, ont pour intérêt leur grande stabilité thermique, ce qui les prédisposent pour des applications à haute température (aéronautique, énergie, nucléaire, …). Cette stabilité est liée à plusieurs causes : la distorsion du réseau atomique, la stabilisation de la solution solide et la diffusion atomique très ralentie (cinétique de transformation de phase très lente). Plus récemment, les CCA sont un domaine de travail important sur la base de l’alliage de Cantor. Enfin, il est a noté que la fabrication additive s’intéresse aussi aux HEA et CCA, qui sont plus stables et moins sujets aux transformations sous les hautes énergies (faisceau laser).
La société Voestalpine (Horst Zunko), quant-à-elle, a dévoilé un nouvel acier maraging, développé pour la fabrication additive SLM sur la base du 13-8PH. Les résultats, après atomisation (Vacuum Induction Melting Gaz Atomization) et production de pièces imprimées montrent des caractéristiques intéressantes de dureté 50-54 HRC, de propriétés mécaniques (Rm de 1780-1880 MPa, Rp0.2 de 1740-1810 MPa, allongement 4,5-7,5 %) et une résilience de 6-14 J. Les caractéristiques sont anisotropes – phénomènes classiques en SLM – d’où la dispersion des résultats et semblent peu sensibles à de faibles variations de paramètres de lasage. Enfin, la tenue à la corrosion serait meilleure qu’un acier martensitique.
Ensuite, Pierre FERRER (aciériste ibérique Rovalma) a présenté les résultats atteints sur moules avec les aciers à haute conductivité thermique HTCS. La conductivité de 60 WmK-1 (HTSC-130 DC) permettrait de réduire de 30 % environ le temps de cycle en fonderie sous pression aluminium et de 22 % en plasturgie (Fastcool-20). Rovalma produit également, depuis 2015, de la poudre en HTCS pour la fabrication additive (éléments de moules…). La vitesse d’impression serait accélérée (X 6 par rapport à un acier conventionnel) liée à la meilleure évacuation de la chaleur en cours de construction de la pièce.
Jens Bergstrom (Karlstadt University) a exposé des travaux de R&D issus du projet collaboratif AMHIPP (Advanced Material for High Performance Products). Des mesures thermiques sur éprouvettes cylindriques refroidies par circulation interne ont permis de mesurer le choc thermique lors de l’injection. Des essais sur aciers Uddeholm AB (Dievar et QRO90) et l’utilisation des diagrammes d’Ashby ont permis de mettre en évidence que la stabilité de la microstructure à chaud était en particulier liées à la résistance aux chocs thermique des carbures (MC, M6C, M23C5, …) entrant dans la composition de ces aciers. Il était souligné le manque de références bien documentées (type fatigue data collection de Bergstrom Farhad Rezaï-Aria/ 2006) sur la tenue aux chocs thermiques des aciers issus de la fabrication additive.
Simulation numérique et intelligence artificielle
Franck Tancret (Université de Nantes) a adressé l’utilisation des algorithmes génétiques appliqués à l’Alloy Design (conception d’alliages innovants). En préambule, il a rappelé que le trop grand nombre d’éléments du tableau de Mendeleïev et le nombre de compositions chimique possibles excluaient d’étudier numériquement la totalité des alliages (5050 combinaisons possibles). Les algorithmes génétiques reproduisent la sélection naturelle darwinienne. Les gènes sont remplacés par la composition chimique et les caractéristiques morphologiques (la longueur du cou d’une girafe, adaptée pour aller manger des feuilles très hautes) remplacées par les caractéristiques fonctionnelles de l’alliage (Rp0.2, tenue à la corrosion, densité) où le coût de l’alliage. A partir de deux « alliages mères », on crée des populations d’alliages enfants (à la composition qui résulte des deux parents) et également des mutations au hasard de certains éléments d’alliages. Ce double processus de reproduction (des meilleurs enfants) et mutation va faire émerger de nouvelles formulations. Pour évaluer les propriétés des alliages enfants, on utilise l’approche Calphad (ThermoCalc), des bases de données, du data mining (machine learning) et des modèles physiques (modèle de coût). Cette approche a permis de développer des alliages base nickel, des HEA ou des alliages d’aluminium.
Hervé MOTTE (ARRK Shapers France) a présenté les résultats du projet ITechmould conduit avec CT-IPC, les fonderies Cast-Metal et FPSA, CTIF et le lycée Hector Guimard pour des moules plastiques, de fonderie et la mise en forme des composites. Le conformal cooling allié à la fabrication additive indirecte (noyaux sables prototypés et coulée de blocs de moule en acier à CTIF) a permis de réaliser des démonstrateurs pour les différents industriels du projet. Des gains sur les temps de cycle (de 15 à 25 %) ont été enregistrés en production avec un meilleur dimensionnel des pièces (température d’outillage plus homogène). Des outils numériques métiers ont également été développés. Le projet OUMOUSS, avec les mêmes partenaires, est la suite du projet ItechMould et va développer l’utilisation des structures lattices (par voie fonderie) pour augmenter l’efficacité thermique des circuits de refroidissement internes des moules.
Thomas Péret (IRT Jules Vernes / Nantes) a introduit une étude sur la maîtrise de la montée en température d’un moule de formage dans le cadre du projet SITCOM (avec Airbus, ABC et L’Ecole des Mines d’Albi). Des lois de comportement visco-élasto-plastiques couplés à des vérifications expérimentales (essais de traction) ont été développées. Des cartographies des contraintes de l’outillage ont été développées et ont mis en évidence que la pratique de fermer le moule pendant la phase de chauffe n’était pas la plus pertinente. Le chauffage moule ouvert est paradoxalement plus rapide, limite les gradients thermiques et permet d’obtenir une température plus homogène.
Patrick Hairy (CTIF – Centre Technique des Industries de la Fonderie) a présenté les différents outils utilisables en métallurgie en intelligence artificielle : les systèmes experts, les réseaux de neurones (machine learning) et les jumeaux numériques. Si les systèmes experts et le machine learning commencent à être des technologies matures, les jumeaux numériques sont plus récents (concept de 2002). Cette dernière technologie, après une phase en amont de simulation numérique multi-physique dans un périmètre bien circonscrit, va consister à développer une réduction de modèle (MOR pour Model Order Reduction) qui va pouvoir donner des réponses en temps réel et interagir dans certains cas avec le jumeau réel (la machine, le moule, …). CTIF travaille sur ces technologies avec des partenaires (ESI…).
Julien Charbonneaux (ESI France) a présenté la suite logicielle PAMSTAMP permettant de simuler toute la gamme d’opérations de l’estampage de tôle depuis le chiffrage du coût pièce jusqu’au calcul de simulation de la mise en forme en passant par la conception de l’outillage. En particulier, PAMSTAMP réalise un couplage de la simulation de la mise en forme avec la simulation de la déformation de l’outil de formage. De plus, l’option « die spoting » tient compte de l’amincissement de la tôle dans la conception du moule. ESI annonçait également un nouveau produit sur la simulation du procédé de fabrication additive métallique.
Conception et design des outillages
Emmanuel Nigito (Ecole des Mines d’Albi) a introduit une étude sur la réalisation d’outils en alliage à mémoire de forme (NitiNol) pour un outillage médical en utilisant la fabrication additive (SLM). Après atomisation de l’alliage NiTi, des caractérisations ont été réalisées (poudre, éprouvette, démonstrateur). Il a été noté un fort impact de la stratégie de lasage (avec ou sans contour) sur l’état de surface de l’outil qui présente une zone en pointe très fine (200 µm). Le comportement super-élastique de l’alliage NiTi massif a bien été retrouvé en fabrication additive. Des structures en treillis complexes tirant partie de la liberté de forme de la fabrication additive ont également été réalisées pour démontrer le potentiel d’utilisation.
Philippe Bertrand (ENISE) a annoncé la mise au point d’un acier haute performance (en collaboration avec Schneider Electric et Mines Paris-Tech) pour la fabrication additive métallique sur la base d’un acier X40CrMoW16-2 utilisé en injection plastique mais indisponible sous forme de poudres. Il a mis en exergue les différentes étapes de la qualification de la nuance ; la validation sur cordons (pour déterminer la puissance et la vitesse laser), la réalisation de surface, puis la réalisation de murs et enfin, la réalisation de plateaux entiers avec éprouvettes de caractérisation. L’acier développé pour la fabrication additive est proche de celui commercialisé par Aubert et Duval. Des inserts de moule plastique chez Schneider Electric sont en cours d’utilisation (200 000 injections) sans problèmes techniques notables avec une technologie de refroidissement de moule de type Conformal Cooling.
David Muller (AddUp – IPC Clermont Ferrant) a affiché la nouvelle offre de service en fabrication additive dédiée à la réalisation d’éléments d’outillages métalliques utilisant le Conformal Cooling. Addilys, la joint-venture créée entre AddUp et CT-IPC permet d’apporter une réponse complète aux utilisateurs d’outillage pour tirer le meilleur parti de la fabrication additive. Cette technologie permet en effet des gains en temps de cycle qui sont chiffrés en moyenne à 25 % en plasturgie, sans compter les gains en temps de développement et en qualité des pièces produites. Et malgré cela, cette technologie peine encore à se démocratiser, ce n’est ni un standard utilisé au quotidien, ni universellement reconnu.
Patrick FORAISOn (Bodycote) a introduit la technologie de brasage sous vide pour réaliser des outillages en acier, inox, cuivre, aluminium pour la plasturgie. Le brasage sous vide permet l’optimisation des pièces pour deux applications : l’amélioration des circuits de refroidissement des noyaux et empreintes et l’homogénéisation des canaux chauds. Ce procédé permet la mise au point de blocs-chauds plus homogènes en température et avec de meilleurs rendements et des tenues en pression au-delà de 2000 bars.
Dégradation des outillages
Ousseïni MAROU (CRITT – MTDS Charleville Mezières) a discuté des alternatives possibles pour le choix de matériaux pour moules de verrerie. Il a été étudié en particulier les performances tribologiques et anti-adhésives de nuances massives en WC comparativement à des fontes utilisées couramment dans l’industrie verrière.
Les sociétés Liebherr Aerospace Toulouse et Aurock ont étudié et présenté des travaux sur la problématique de formage des tôles minces base nickel pour des applications d’intercalaires d’échangeurs de chaleur (courants croisés) de prélèvement d’air de moteurs aéronautiques. Une étude a permis d’étudier l’impact des paramètres géométriques sur la qualité du brasage et des défauts de brasage. La très faible épaisseur des tôles a nécessité une étape de simulation numérique du formage. Enfin, l’usure des outils a été prise en compte également.
Traitement thermique et traitement de surface
Luc Herrmann (groupe HEF) a démontré les performances des traitements thermochimiques CLIN pour les outillages de forge, d’extrusion et d’injection. Sous la dénomination CLIN (Controlled Liquid Ion Nitrinding) , on regroupe plusieurs familles de traitements thermochimiques (Sursulf, Arcor, Tenifer, QPQ, …). Selon les applications, les moules et outils nécessitent des couches de combinaison avec une profondeur de diffusion réduite afin de fragiliser les pièces de géométrie complexe.
Eric Damond (IonBond France) a présenté l’évolution des traitements de surface sur les outils de coupe et leurs spécificités pour l’usinage des outillages de moule. Les revêtements tels que (Ti, Al)N, (Al, Cr)N ou (Ti, Al, Si)N utilisés classiquement en usinage UGV ont été passés en revue. L’UGV sollicite en effet les arêtes de coupe de manière très complexe (contraintes mécaniques, thermiques et vibratoires), nécessitant des solutions spécifiques.
Trois solutions sont possibles pour automatiser le polissage d’éléments de moule ; le polissage sur centre d’usinage cinq axes, le polissage via un moyen robotisé et le polissage électrochimique (PECM, …). Stéphane Guerin (CETIM St Etienne) a présenté l’automatisation des opérations de polissage d’outillages sur centre d’usinage 5 axes. Sur éprouvettes et outillages en X38CrMoV5 à 52 HRC, les Ra ont été caractérisés. Il était mis en évidence l’intérêt du centre d’usinage existant avec une FAO d’usinage pour polir des outillages. Cette solution est relativement flexible, rapide et simple à mettre en œuvre.
Eric Thieffry (Oerlikon France) a introduit les différentes solutions développées pour la protection des outillages de mise en forme des tôles HLE, THLE ou UHLE. Ces protections permettent de limiter l’usure et augmenter la durée de vie des outillages tout en garantissant la qualité des tôles produites en grande série automobile.
Les tables rondes fabrication additive et intelligence artificielle
La table ronde sur la fabrication additive, animée par Farhad Rezaï-Aria (IMT Mines d’Albi) a permis de mettre en évidence le besoin de nouvelles nuances spécifiquement développées pour la fabrication additive (SLM…), la difficulté de contrôle des pièces en structure lattice, les limitations pour réaliser des pièces en alliages cuivreux et le déficit de données fiables sur les propriétés en fatigue des pièces imprimés en 3D. Par contre, il était souligné que les bureaux d’études prennent en compte de mieux en mieux les spécificités de la technologie dans la conception de pièces.
La table ronde sur l’intelligence artificielle soulignait, quant-à-elle, la faible culture des industriels (hormis les grands donneurs d’ordre) sur ces nouvelles technologies du numérique (machine learning …), la nécessité de démystifier le terme d’IA, l’importance de la data (données en assez grand nombre, numérisées et fiables) pour alimenter des algorithmes et enfin le rôle des Centres Techniques Industriels pour mieux diffuser cette technologie dans les ETI et les PME.
Conclusion
De très nombreux exposés traitaient – en tout ou partie – de la mise au point de nouvelles nuances (acier, alliage à mémoire de forme, HEA…) pour les technologies de la fabrication additive (SLM en particulier), preuve du dynamisme de ce secteur en métallurgie. A côté de cela, on notait également l’utilisation et le développement continu des outils numériques tant en amont (alloy design), que pour la conception des outillages et la simulation des procédés de mise en forme des alliages.
NB : cette synthèse ne saurait être exhaustive tant les sujets et les développements techniques étaient denses et nombreux.
Pour plus d’informations sur ces deux journées, n’hésitez pas à contacter Patrick Hairy, Responsable Pôle Développement Métallurgie et Procédés chez CTIF.